Ecrivain d'un mythe
par Bernard Point
Joe Neill est un constructeur…
Constat de banalité au premier regard. Mais ce n’est pas si simple ! et je m’étonne de constater combien simplet serait d’en rester à la simplicité d’une telle affirmation. Joe Neill est un déconstructeur.
Découverte de complexité aux croisements de regards enchevêtrés. En réalité ce monde d’habitations inextricables m’invite pourtant à le pénétrer tout en m’en interdisant l’entrée. Ces objets dressés aux limites des lois de la pesanteur m’apparaissent étrangement « turbulentes » comme des échafaudages impossibles au service d’architectures qui jamais ne pourront être construites.
L’artiste semble vouloir dresser des pylônes qui se tordent « outside » avant même de porter, d’abriter, d’accompagner la moindre construction. Joe Neill m’apparaît alors comme un bâtisseur de piranesques prisons qui n’enfermeront que le regard à l’intérieur du labyrinthe d’armatures fragiles, la limite de l’effondrement. Etre dehors, c’est être à la fois en instance et en interdit d’être dedans. Ces objets s’offrent à moi comme des structures porteuses d’espaces démantelés.L’univers poétique de l’artiste, après la période magique de découverte et d’éblouissement, se transforme peu à peu en une troublante sensation d’oppression. Le voyage intérieur, d’obstacles en barrages franchis, peut me conduire jusqu’aux murs où s’accrochent de curieux bas reliefs. Ici, l’organisation de la construction obéit à une composition centre…
Pourtant « l’entropy » du système caractérise le degré de désordre qui s’insinue dans une apparence d’ordre. Autour de portions de sphères concaves, une structure rayonnante se voit bousculée par le désordre débridé et irrationnel d’un enchevêtrement de petits bois. Le chevauchement des plans, doublé de l’ombre portée sur les murs, enserre comme une maille le creusement de la sphère. Celle-ci peut alors porter la trace de collages serpentins proliférant autour d’une autre sphère, minuscule et magique. Joe Neill, magicien d’un univers cosmique, retourne le centre sur lui-même. Il le confond au coeur d’un monde illogique réglé par les lois qu’il réinvente sans cesse, afin d’en manipuler toutes les contradictions. Parallèlement à ce travail tridimensionnel, l’artiste dessine à la pointe aiguisée de crayons de couleur. Les éléments qu’il met en place sur le papier s’apparentent à une écriture. Celle-ci prend appui sur un point de focalisation paradoxalement limité à l’infiniment petit d’une plante. Là encore, je retrouve l’artiste écrivain du cosmos interprétant les basculements de l’univers par la mise en espace de plans translucides, en suspension dégradée sur le vide d’une grande page blanche. Déconstructeur, Joe Neill n’est pas architecte. Sculpteur, l’est-il vraiment lui qui cloisonne le vide. Peintre, rarement et c’est pour traverser l’espace de fulgurances de couleur. Dessinateur dès l’origine avant d’élaborer ses arachnéennes figures spatiales. Ecrivain sans doute, lui qui me raconte d’incroyables histoires de Babel, qui comme le mythe, resteront tours sans fin.
Bernard Point – juillet 2000
Directeur de la Galerie Municipale de Gennevilliers